Le design est-il de l’art ? Et les designers sont-ils des artistes ? Le débat n’est pas nouveau. Auteur du Roman de la momie, du Capitaine Fracasse et de Mademoiselle Maupin, le grand styliste Théophile Gauthier a tranché depuis longtemps avec des propos sans ambiguïté.
L’Art pour l’art est un concept apparu au début du XIXe siècle. Il énonce que la valeur intrinsèque de l’art est dépourvue de toute fonction didactique, morale ou utile. Les travaux désignés par cette formule sont dits autotéliques, c’est à dire qui s’accomplissent par et pour eux-mêmes (on emploie aussi la formule latine per se).
La théorisation de l’art pour l’art est attribuée à Théophile Gautier (1811–1872), apparaissant dans la préface de son roman Mademoiselle de Maupin en 1835 :
« À quoi bon la musique ? à quoi bon la peinture ? Qui aurait la folie de préférer Mozart à M. Carrel, et Michel-Ange à l’inventeur de la moutarde blanche ? Il n’y a de vraiment beau que ce qui ne peut servir à rien ; tout ce qui est utile est laid. (…) Je préfère à certain vase qui me sert un vase chinois, semé de dragons et de mandarins, qui ne me sert pas du tout. »
En écho à cette réflexion, on citera le rappel fait par l’historien helléniste Victor Davis Hanson dans son ouvrage de polémologie Carnage et culture (2001) : « Bien qu’Archimède, le théoricien des mathématiques, ait décrété ignoble et sordide (...) tout art qui se prête à la simple utilisation et au profit (...) »
Si l’art ne se justifie que par sa beauté intrinsèque, le design ne saurait donc s’en rapprocher en raison de sa vocation (améliorer la fonction et l’ergonomie et même de sa définition, ce mot anglais signifiant, rappelons-le dessein donc projet (devant répondre à un cahier des charges) et non dessin et encore moins esthétique. Cela n’enlève rien bien sûr aux talents des designers créateurs d’objets mariant usage amélioré et formes plaisantes. Certes, des exceptions sont venues confirmer cette règle, tel Finn Juhl (1912-1989), grand designer danois pour qui la forme primait sur la fonction, une posture originale dans sa discipline et qui allait même à contre-courant des idéaux du style scandinave.
L’une des différences principales, divergences fondamentales, diront les plus acerbes, réside dans le fait que le design a une vocation commerciale, voire des visées mercantiles lorsqu’il est promu par le marketing et la publicité. L’art a une ambition per se (il se vend très cher pour des discutables raisons de thésaurisation et de spéculation) ainsi que l’ont rappelé le peintre français Gustave Moreau (1826 – 1898)« J’aime tant mon art, et je serai heureux que quand je le ferai que pour moi seul », et l’écrivain américain Edgard Allan Poe (1809-1849) : « il n’existe et ne peut exister sous le soleil d’œuvre plus absolument estimable, plus suprêmement noble, qu’un vrai poème, un poème per se, un poème, qui n’est que poème et rien de plus, un poème écrit pour le pur amour de la poésie. »
Enfin, puisqu’il s’agit d’art, concluons par le 7ème du nom en notant que « Ars gratia artis », traduction latine de l’art pour l’art, est inscrite dans le cercle autour de la tête du lion rugissant des séquences d’ouverture des films de la Metro-Goldwyn-Mayer (MGM pour les intimes.
Jérôme Alberola
Visuel ci-dessus à droite : illustration par Édouard Toudouze de l'édition de 1897 du roman Mademoiselle de Maupin de Théophile Gautier © Wikipédia
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