Pour la première fois, la Fondation CAB à Saint-Paul de Vence accueille une exposition de la programmation Hors les murs de la villa Noailles, consacrée au travail de redécouverte mené par Andrée Putman (1925-2013), grande dame de l’architecture d’intérieur et du design. Soutenus par quelques mécènes érudits, des architectes et des créateurs avaient su dans les fécondes années Soixante, en captant et en matérialisant les transformations sociales avec un demi-siècle d’avance, poser les fondements d’une nouvelle façon de vivre.
L’année 2023 marquant le centenaire de la villa Noailles, ancienne résidence de villégiature commandée par le vicomte et la vicomtesse de Noailles à l’architecte Robert Mallet-Stevens, la Fondation CAB de Saint-Paul de Vence accueille, depuis le 22 mars et jusqu’au 29 octobre, une exposition de la programmation Hors les murs de la Villa Noailles, consacrée au travail de redécouverte mené par Andrée Putman, disparue il y a dix ans.
De leur vivant, les romanesques vicomte et vicomtesse de Noailles ne pouvaient mesurer ’importance qu’occuperait leur villa dans la construction d’une histoire moderne. C’est par arrêté un ministériel de 1975 que Michel Guy, secrétaire d’État à la Culture et ami intime d’Andrée Putman, a fait inscrire la Villa Noailles sur la liste de l’inventaire supplémentaire des Monuments Historiques du XXe siècle. Cette exposition inédite rend hommage à celle qu’on surnommait la Grande Dame du Design et qui fit sortir de l’ombre tout un plan oublié de l’histoire du Mouvement Moderne et de ses plus grands architectes, dont elle protégea, valorisa et diffusa les œuvres. Des artistes pionniers soutenus et collectionnés à leur époque par quelques mécènes érudits, parmi lesquels figuraient les Noailles, rares exemples d’aristocrates dont le destin fût intimement mêlé à l’histoire des avant-gardes.
Au-delà d’un mouvement artistique et stylistique, Andrée Putman redécouvrait les fondements de l’histoire de notre époque et de notre modernité, une période pendant laquelle les architectes et les créateurs, avaient su dans les fécondes années Soixante, en captant et en matérialisant les transformations sociales avec un demi-siècle d’avance sur leur temps, poser les fondements d’une nouvelle façon de vivre.
La villa Noailles, commandée à l’architecte Robert Mallet Stevens, fondateur de l’Union des Artistes Modernes, en est le symbole, avec ses signes, ses codes et ses contradictions. C’est dans ce paquebot immobile que Charles et Marie-Laure de Noailles reçurent amis, artistes et intellectuels de tous bords et que s’est écrit un pan de l’histoire culturelle des années 1920 et 1930. Enfant de cette folle décennie, Andrée Putman naît en 1925, l’année de la grande exposition Internationale des Arts décoratifs et industriels modernes. C’est au début des années 1960, alors qu’elle est âgée d’une trentaine d’années, qu’elle découvre cette production restée confidentielle. La plupart des meubles créés dans les années 1920 a disparu, de nombreuses créations sont restées à l’état de dessins ou de prototypes et très peu de modèles ont été produits et commercialisés. Femme du critique d’art Jacques Putman, Andrée Putman débute sa carrière chez Prisunic (ancêtre de Monoprix) où elle invite des artistes renommés tels que Pierre Alechinsky, Jean Messagier, Bram van Velde, Arman, Christo, Max Ernst, etc. à créer des estampes originales qu’elle parvient à commercialiser à bas prix. Favoriser « l’art pour tous » en encourageant les collaborations entre artistes et industriels, c’est de nouveau ce qu’elle initie en 1973, lorsqu’elle fonde avec son ami Didier Grumbach (fondateur et président de l’Association Villa Noailles) la société Créateurs et Industriels.
À cette époque, la plupart des créateurs de la première moitié du XXe siècle sont tombés dans l’oubli, Andrée Putman ne trouve aucun fabricant mais se lance le défi de « réaliser le rêve de diffusion » des pères du design que sont Eileen Gray, Robert Mallet Stevens, Pierre Chareau, etc., et fonde en 1978, sa propre société d’édition, Écart International. Loin de sanctuariser leurs créations, Andrée Putman, va selon ses propres termes « les aider à renaître. » Le mobilier réédité par Ecart International, qui, un demi-siècle plus tôt, avait été rejeté pour la simplicité de ses lignes, (« less is more » disait Mies van der Rohe) bénéficie d’un grand succès et est diffusé auprès d’un large public. Ces créations intemporelles deviennent des best-sellers des années 1980. Andrée Putman les utilise aux quatre coins de la planète, dans la quasi-totalité des commandes qui lui sont confiées, de l’Hôtel Morgans à New York aux aménagements réalisés pour Karl Lagerfeld à Rome ou à Paris.
J.B
Visuels :
En haut à droite : © Xavier Béjot / TRIPOD AGENCY
Ci-dessus : © studio Loïc Bisoli
A (re)lire aussi l’article que nous avions consacré en novembre 2019 à Charlotte Perriand, l’autre grande dame de l’architecture d’intérieur et du design Archi-Cultures : Charlotte Perriand, grande pionnière de l'habitat
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